Contribution pour la conférence « éducation populaire et citoyenneté, expériences et enjeux »
Pierre Vuarin Président du conseil de l’Université Internationale Terre Citoyenne (UITC).
pierre.vuarin@gmail.com
Bonjour à tous
C’est un grand plaisir pour moi de participer à cette session d’échanges de cette importante rencontre à distance sur l’éducation populaire et la citoyenneté.
Je suis français et participe à l’animation de l’Université Internationale Terre citoyenne. L’UITC est une communauté internationale de travail associant une vingtaine d’organisations de différentes formes (chaires d’université, ong, centres de formation, organisations sociales) en Afrique, Europe et Amérique latine. Avec ces différentes organisations associées, nous formons des leaders sociaux pour faire face aux enjeux locaux et globaux qui se présentent.
Avec ce réseau, nous favorisons les échanges et approfondissements autour de différentes démarches et méthodes de changement. Nous parlons de la pédagogie du changement.
Aujourd’hui, je désirerais mettre en valeur en particulier deux enjeux pour l’éducation populaire qui ressortent de notre communauté de travail et d’une recherche action engagée sur les formations transformatrices menées en Afrique, Europe, Amérique Latine.
Il y a d’autres points qu’il serait nécessaire de développer. Ceci sera fait dans un livret que nous proposons d’éditer pour la fin de l’année sur la « pédagogie du changement »
Le premier point concerne la capacité à créer des condition de dialogues générateurs de changements profonds.
L’éducation populaire a toujours cherché à favoriser des échanges, des dialogues de qualité. On le voit aussi dans ce processus de symposium. Mais il nous faut en profiter pour revenir sur un point qui nous semble fondamental, la réalisation de « dialogues générateurs de changement » .
Dans les luttes de résistance, dans les formations d’éducation populaire la question de la qualité des dialogues entre deux personnes ou dans un groupe, n’est souvent pas suffisamment mise en exergue. Pourtant, ceci constitue la base de tout soulèvement durable des personnes et des communautés. Nous avons remarqué l’importance de la pratique de dialogues profonds qui permettent aux personnes de pouvoir redécouvrir et exprimer les colères qu’elles ont rencontrées dans leurs vies, les colères qui les ont poussé à l’action, les motivations profondes aussi qui les ont poussé à réagir, à agir. Ce sont ces éléments qui constituent la base de l’engagement dans l’action, la résistance mais aussi dans des processus de changement. En effet, à l’occasion de dialogues profonds entre deux personnes ou à l’intérieur d’un groupe, les personnes impliquées peuvent se sentir revalorisées, mises en valeur. Elles peuvent découvrir une nouvelle existence possible. Ces dialogues profonds peuvent produire une forme de révolution existentielle. Ces personnes avaient des intérêts à défendre. Mais elles découvrent qu’une autre vie est possible avec d’autres relations, avec une reconnaissance de leur personne, de leur expérience. Ce sentiment est fort et constitue la base d’une nouvelle existence et du soulèvement possible des personnes ou d’une communauté.
Dans le cadre d’une lutte collective, ce sont la qualité des dialogues et le renouvellement de la qualité des échanges qui peuvent permettre aux personnes de désirer continuer à résister, à lutter, à participer à un processus de changements profonds. Elles ne vont pas seulement défendre leurs intérêts mais aussi ces nouvelles formes de relations, cette nouvelle existence qu’elles ne veulent plus abandonner.
Nous retrouvons cette volonté de créer des dialogues générateurs de changement dans la pratique des « one to one » prônée dans la démarche du « communauty organizing » développée par Saul Alinsky dans les mouvements civiques américains. Nous pouvons la retrouver dans le travail des curés, des aumôniers qui œuvrent à la qualité de l’écoute et du dialogue dans beaucoup de communautés. Nous la retrouvons aussi dans l’attention portée par la démarche « Art of hosting » qui cherche à créer des conditions de la présence de chaque participant et de dialogues profonds, générateurs de changement.
Cette question des « dialogues générateurs de changement » me paraît très importante à noter, à relever dans la période que nous vivons. En effet, actuellement, les personnes sont mises à distance par la COVID mais aussi par l’usage de certains moyens de communication nouveaux (les réseaux sociaux). Il est vrai aussi que l’utilisation de ces réseaux sociaux peut être à l’origine de mobilisations spontanées importantes. Mais souvent, ces mouvements ont beaucoup du mal à durer et donc à réellement peser sur les situations. Ils peuvent être de grande ampleur mais ils peuvent prendre aussi un caractère éphémère si rien d’autres ne se passent. Nous pouvons dire que ces mouvements ont, en particulier, du mal à créer de nouvelles relations, de réels dialogues transformateurs pour les personnes et pour les communautés qui y participent.
Pour conclure sur ce point, je dirai que cette pratique de dialogues a une réalité dans beaucoup de mouvement d’éducation populaire et dans les mouvements sociaux mais il n’existe pas une suffisante attention sur le levier de soulèvement et de capacité de résistance qu’elle contient.
L’art de faire face, de travailler, de transformer de manière constructive les conflits
Les mouvements d’éducation populaire ont beaucoup œuvré pour développer la capacité des personnes, des organisations à faire face à des situations d’exploitation, d’oppression. Ils l’ont fait en développant la capacité à rentrer en conflit collectivement, à négocier avec les acteurs impliqués. Ceci constitue une dimension importante de leurs actions.
Mais la question de la transformation des conflits interpersonnels, des conflits à l’intérieur d’une organisation, d’une communauté ou entre organisations et communautés est très peu traitée, travaillée dans les organisations d’éducation populaire et les mouvements sociaux. On met souvent l’étendard de la solidarité en avant. Mais celui-ci n’est pas suffisant pour traiter les conflits internes qui peuvent miner ces organisations et peuvent les mettre en état d’impuissance ou d’explosion.
Cette question des compétences à travailler pour faire face et transformer les conflits interpersonnels et collectifs constitue un angle mort de la réflexion et des pratiques de formation de la plupart des organisations d’éducation populaire. C’est aussi un énorme angle mort dans les systèmes d’éducation publiques en place dans l’ensemble des pays de la planète. Rien n’est fait ou presque rien pour travailler sur les perceptions, les émotions, les conflits vécus par les enfants, les adolescents et les adultes. Rien n’est encore fait pour travailler dés le plus jeune âge un « art pour faire face et travailler sur les conflits internes aux personnes, interpersonnels ou collectifs ». Et pourtant comme le dit Maurice Brasher, un des animateurs de la démarche « ProcessWork/Démocratie profonde » en France, « Nous sommes le produit de tous les conflits que nous avons traversés ».
Dans le cadre de l’UITC, nous travaillons beaucoup sur toutes les pratiques, méthodes, démarches qui favorisent « une pédagogie du changement ». Nous sommes particulièrement attentifs aux démarches qui permettent aux personnes, aux communautés de chercher à utiliser l’énergie de changement présente dans les conflits qui se présentent et d’en faire un vecteur de transformation. Les conflits non traités, mis sous le tapis, sont des bombes à retardement qui peuvent devenir destructeurs des relations interpersonnelles et des communautés. Alors que les communautés qui traversent des conflits de manière positive s’en retrouvent renforcées.
Dans le cadre de l’UITC, nous développons des formations pour faire face aux conflits, à l’impuissance, aux tensions. En particulier, nous avons développé une formation de leaders paysans en Afrique, au Tchad. Nous utilisons, ici, les apports de la démarche « ProcessWork/ démocratie Profonde » . Mais nous sommes très attentifs aux différentes pratiques mises en œuvre sur le terrains, dans différentes cultures, par les différentes personnes et organisations.
La question de la transformation constructive des conflits nous semble un point clé dans les processus de transformation et de changement. C’est un enjeu crucial pour l’éducation populaire et les sociétés. Il nous semble que cette question de la formation pour transformer de manière constructive les conflits interpersonnels et collectifs dans les différentes communautés auxquelles nous appartenons, constitue un des enjeux majeurs de la période. L’Université Internationale Terre Citoyenne est décidée à continuer à y contribuer.
L’espace ouvert par cette rencontre internationale sur l’éducation populaire me semble une grande réussite pour rétablir des formes d’échanges, de dialogues dans une période de coupure, de fracture du lien. Mais il nous semble que nous devons avec la levée progressive des confinements, développer avec constance les conditions de « dialogues générateurs de changement » et investir dans la réflexion, les échanges, les pratiques et les formations concernant « l’art de faire face, de travailler, de transformer les conflits internes aux personnes, interpersonnels et collectifs »
Merci de votre attention
Pierre Vuarin