«Pédagogie de la résilience et du changement »
Constat
Au niveau mondial, un modèle de développement hégémonique et productiviste cherche à se perpétuer par tous les moyens. Il nous mène à des effondrements, des crises, dans différents domaines et régions du monde et possiblement au niveau de la planète. Nous sommes donc confrontés à une époque de grandes transformations, de bouleversements et d’effondrements variés (énergétiques, sociaux, économiques, financiers, politiques, en matière de biodiversité).
A l’origine de ce modèle, un rapport de force, celui créé par la formidable expansion européenne, préfigurée dès le 15e siècle en Amérique du Sud puis étendue à l’échelle de la planète trois siècles plus tard. Elle fut galvanisée par la Révolution industrielle et portée par les connaissances scientifiques occidentales, dont l’avance relative à cette époque fut d’abord un vecteur de domination au service de l’aventure conquérante, puis un moyen d’émancipation saisi par les dominés pour s’affranchir du colonisateur. Pour le meilleur et pour le pire, cette expansion consacra l’influence de la pensée occidentale et à travers elle de la modernité, changement majeur vis-à-vis duquel chaque société a du et continue à en démordre pour situer sa culture et son identité.
Ce noyau conceptuel, encastré dans les innombrables cultures et philosophies des peuples et groupes humains, forme le socle du développement dans le monde globalisé. Les États-Unis en ont été le héraut planétaire en sortant vainqueur des conflits fratricides du siècle dernier. Aristote, Bacon, Descartes, Newton, Smith, Walras, Humboldt et bien d’autres en ont posé les pierres fondatrices. Une pensée capable de produire les Lumières, de mettre fin au despotisme, d’inscrire la notion de bonheur dans les constitutions, d’organiser les échanges du village au global à travers le marché et l’entreprise. L’idée même de changement y est nouvelle à travers les représentants et les institutions. Mais une pensée capable aussi de l’exploitation, de la domination, et d’autres contradictions qui se heurtent récemment aux limites fixées par son propre substrat planétaire. Hormis les critiques incessantes liées à l’insertion forcée dans la modernité et le capitalisme, c’est surtout la parole interne du Club de Rome, du rapport Brutland, puis l’ONU et le GIEC qui depuis une cinquantaine d’années ont ouvert une brèche dans ce soubassement. Des pans entiers du développement, perçus désormais comme insoutenables, sont tour à tour questionnés: la croissance, le productivisme, la société de consommation, l’économie capitaliste, autant de disciplines codifiées dans la science et le savoir académique. Cette brèche a généré des courants critiques et révisionnistes qui explorent une sortie par le haut de ce modèle. Certains sont correctifs, cosmétiques, palliatifs voire négationnistes. D’autres se veulent disruptifs, hétérodoxes, alternatifs, paradigmatiques.
La difficulté à sortir de ce modèle est d’autant plus grande que la croissance garantit le regain de sécurité et de puissance nationale dans un monde sous hégémonie nord-américaine. Il suffit d’observer l’émergence de la Chine et de l’Inde, sur fond de déclin relatif du bloc occidental et du multilatéralisme. Faut-il s’y résigner? Visiblement non et devant l’inertie des grands acteurs de l’arène international à maintenir le statu quo, une kyrielle de mouvements et d’innovations s’activent ici et là, dans l’agir et le penser, pour impulser des transformations. Impossible de toutes les caractériser ici. Mais soulignons quelques traits généraux qui sous-tendent ces démarches et qui fondent in fine cette proposition sur la pédagogie du changement.
Tout d’abord, la sortie de ce modèle est loin de ne renvoyer simplement qu’à l’élaboration de nouvelles philosophies et connaissances. Elle est davantage synonyme d’une stratégie de modification du statu quo et de mobilisation sociale et culturelle. Comment mobiliser des individus et des collectifs faisant les frais d’un système de développement lorsque celui-ci n’est plus tout à fait le colonialisme ni un corps étranger menaçant l’instinct national, sinon un ensemble de flux d’idéologies, d’intérêts, de capitaux, de technologies et de rapports de force? A priori, les mobilisations en jeu sont de l’ordre de l’éducation populaire, du changement culturel, de l’organisation et de l’agglutination de mouvements, de la recherche de leviers d’entraînement et d’action concrète. En l’absence de modèles clé en main, les modèles d’organisation antérieurs (marxisme-léninisme, partis d’avant-garde) continuent à irriguer les pratiques. Toujours est-il que de nouvelles formes ont éclos depuis les trente dernières années.
Ensuite, les modes de connaissance eux-mêmes sont bien entendu en jeu dans ce patron de développement, en étroite relation avec un rapport de force figeant la physionomie des échanges. De la rationalité limitée, du positivisme, de la disjonction, de l’anthropocentrisme, il s’agit de transiter vers des épistémologies relationnelles, constructivistes, biocentriques, complexes. Les moments d’inflexion sont propices à des aller-retours plus dynamiques entre action et réflexion. Ainsi en fut-il des mouvements de libération nationale jusque dans les années 1980 qui innovèrent sur le terrain dans les stratégies politico-militaires et dont les innovations étaient ensuite théorisées avec plus ou moins de succès suivant les prismes déformants du moment. De même autour de l’aide au développement et la solidarité internationale à partir des années 1950, les stratégies d’entreprises ou les politiques de transfert de technologies qui consacrèrent des réseaux d’échange d’expérience. Autrement dit, des dynamiques susceptibles de capter les connaissances actionnables issues de, par et pour l’action.
Enfin, énormément de débats sur la durabilité et les transitions évoquent l’importance de l’enracinement et des contextes locaux, sans qu’il n’y ait nécessairement de pilotes centralisés dans les démarches de changement. Ne faut-il pas y voir une sorte d’affirmation identitaire et de revanche face à l’uniformisation qui a drainé les étapes successives de globalisation? Certains évoquent aujourd’hui l’entrée dans une « mondialisation sociale ». Les années 2018-2019 auront illustré la vigueur et la diversité des mobilisations. Ces dernières nous renvoient également au découplage qui s’est établi depuis deux siècles entre d’un côté les réalités sociales et de l’autre les institutions et la macro-politique qui reste à maints égards prisonnière des rapports de force.
Dans ce panorama et plus concrètement, les universités, les lieux de formation apportent, le plus souvent, des connaissances spécialisées, performantes vis à vis d’objectifs productivistes à court terme. Mais ces connaissances sont aussi sérialisées, fragmentaires et souvent peu ou pas adaptées par rapport à des objectifs de durabilité, de transition nécessaire de nos sociétés et pour faire face aux formes diverses d’effondrements futurs.
Les formations initiales, les formations au niveau des collèges, des lycées n’intègrent pas ou très peu les dimensions du sensible, des émotions, de l’action, des conflits, de la complexité dans leurs pratiques pédagogiques.
C’est aussi une époque qui nécessite l’implication du maximum de citoyens du monde pour affronter les effondrements, les changements à réaliser. Sans ce type de participation active, le risque est grand de créer des situations de violence, de mettre en place des formes de gouvernance autoritaire ou dictatoriale.
Néanmoins, nous pouvons voir l’émergence de formations porteuses de méthodes, de pédagogies de formation mais aussi d’actions qui favorisent des changements transformationnels, qui renforcent les capacités de résilience individuelle et collective. Celles-ci apparaissent dans quelques pays, de manière un peu marginalisée pour l’instant. Elles couvrent le champ de l’accompagnement des processus multi-acteurs, des changements transformationnels, de transformation des conflits. On retrouve ces formations dans le champ de l’éducation populaire, mais aussi dans quelques universités et aussi dans le champ de la formation professionnelle reliée au monde des entreprises.
Ces processus formatifs peuvent être associés à des actions de résistance, de luttes, mais aussi de résilience, de transformation qui sont en cours dans les entreprises, dans les territoires. Des réseaux internationaux existent autour de certaines de ces « pédagogies de la résilience et du changement » comme Art of Hosting, U process, Process Work, Communauty Organizing, ATCC, Communication Non violente, Éducation populaire, Paolo Freire.. Mais ces méthodologies restent encore mal ou peu diffusées et les ponts entre elles sont souvent faibles.
Dans cette époque de grands changements, d’effondrements divers possibles, le besoin est grand en matière de méthodes, de démarches, de références pour affronter les grands défis de l’humanité qui se présentent au niveau local et global.
L’UITC est en lien avec différentes expériences de formations mettant en œuvre ces pratiques en matière de pédagogie de la résilience et du changement. Il nous apparaît qu’existe une grande demande de connaissance pratique de ces démarches et méthodes.
Il y a aussi un besoin de créer « un pot commun » de ces connaissances, de ces pratiques mais aussi de créer les compétences pour les porter dans différents pays et régions du monde, de manières adaptées aux contextes locaux.
Nos axes de travail
Nous proposons trois axes de travail
1) Un travail de repérage de démarches et d’approches en matière de « pédagogie du changement »
Nous pouvons essayer de repérer plusieurs sous ensembles :
– les démarches, approches, méthodes pour travailler dans des situations complexes, difficiles avec de multiples acteurs qui peuvent être aussi en opposition (processus multi-acteurs, démarche Adam Kahane, communauty organizing,…)
– L’accompagnement de changements transformationnels (théorie U, Art of Hosting, Paolo Freire…)
– Les approches, démarches pour faire face et transformer les conflits. (ATCC, Process work, communication non violente…)
2) La formulation d’hypothèses sur les points clés dans ces démarches en terme de compétences individuelles et collectives
– La capacité à créer les conditions de la rencontre, du dialogue profond,
– la capacité à intégrer, à prendre soin,
– la capacité à ouvrir son esprit mais aussi ses émotions, ses sentiments et à créer les conditions pour les partager.
– la capacité à accepter, à révéler les différentes polarités, contradictions dans un groupe et de travailler avec elles.
– la capacité à sentir, globalement ce qui se passe avec tous ses sens autour de soi , mais aussi ce qui se passe en soi.
– la capacité de sentir le futur en émergence dans le temps présent.
– la capacité à mobiliser son intelligence intuitive individuelle et celle d’un groupe, d’une communauté
– la capacité à aller au plus profond de soi, afin de sentir ses intentions profondes, le sens profond de ce que nous désirons faire, afin de faire face et changer sa vision actuelle.
– la capacité à cristalliser de manière pragmatique sous forme d’action, sa nouvelle vision
– la capacité à déployer son action.
3La création de conditions favorables pour développer ces compétences, cette pédagogie du changement
– La prise en compte de la dimension émotionnelle au niveau individuel collectif
– le travail sur le sens profond de nos actions, en quoi elles sont en résonance avec ce qui nous motive profondément, avec la communauté dans laquelle nous vivons.
– la création de conditions de confiance favorables à l’émergence de l’intelligence intuitive.
– Les conditions pour qu’apparaissent aussi la dimension créative, spirituelle, artistique.
Animation du groupe de travail thématique
Pierre Vuarin pierre(arobat)gmail.com
Isabelle Mahy mahy isabelle mahy.isabelle(arobat)uqam.ca
François Soulard mahy isabelle mahy.isabelle(arobat)uqam.ca
Membres du groupe de travail (indicatif)
Une trentaine de personnes de différents pays et continents.
Éléments de programme de travail
1) Programme d’échanges entre étudiants de la formation « cadre de l’éducation populaire » (FRMJC et Univ de Créteil) et personnes impliquées dans des expériences de formations transformatrices hors de France et en France.
Cette action doit démarrer en juin 2020
2) Expériences de formation sur les questions d’approches, de démarches pour faire face aux tensions, conflits.
– Avec Hervé Ott,Maurice Brasher, Pierre Vuarin atelier à distance le 30 avril 2020. Projet de formation pour la fin de l’année (dec 2020 ou janvier 2021)
– Projet d’une série d’ateliers à distance UITC/ Ecole Française du Process Work
3) Intégration de méthodes dont Process Work pour accompagner le développement de l’organisation « Transform » à Grenoble, afin d’intervenir localement dans le champ de la transition .Intervention David Bodinier, Denis Morin, Pierre Vuarin. (23-24 janvier 2020)
4) Rencontre internationale à Rio de Janeiro qui était programmée du 22 au 26 juin 2020. « Education populaire et Citoyenneté » avec l’implication de l’UITC dans le comité d’organisation. Avec la Covid 19, organisation d’ateliers d’échanges à distance avec des expériences brésiliennes pour l’instant. Projet des organisateurs d’impulser une un « TED populaire » en lien avec une dynamique internationale d’université.
5) Travail sur le montage d’une recherche action sur « la pédagogie du changement et des formations transformatrices » en lien avec des lieux de formation liés à l’UITC. Perspective d’ateliers ou de rencontres locales/ nationales en 2021 et une rencontre internationale en 2021/ 2022. Comme premier pas, l’organisation d’une série d’ateliers sur des expériences de formation au niveau international, en Fr. 1ère session le 12 juin 2020. Cette série d’atleir internationaux en webinaire, sera en lien avec l’initiative « Education populaire et citoyenneté »
6) Rédaction d’un cahier sur « la pédagogie du changement » en 32 pages
7) Perspective de monter une série d’entretiens, d’interviews, de vidéos sur ces questions afin d’avoir des éléments pour monter des webinaires/ formations à distance et rendre accessibles ces approches/ démarches/ méthodes/.
Vidéos disponibles :
Hervé Ott (présentation ATCC),
Global cafe avec Maurice Brasher sur process work,
Témoignage de Francis Whyte sur l’experience de formation ATCC à la commission européenne, Série de témoignages sur la formation ATCC réalisée au Tchad,
Témoignage sur réseau shalom en Afrique de l’ouest sur la transformation des conflits,
Témoignage de Maria Candelaria sur une formation de leadership et animation de groupe à Barcelone.
Témoignage de Lucie Tetegan sur la formation des leaders de la pêche avec l’ADEPA
Vidéo sur la formation des cadres de l’éducation populaire organisée par le FRMJC Idf et l’univ de Créteil et petit interview de Max Leguem concernant cette formation.
Petite vidéo de présentation rapide de U process par Pierre Vuarin
Une série de longs interviews sur le « processus de mondialisation » de militants et leaders. Silvio Marzarolli (Uruguay) , Siddartha (Inde) , Henryane de Chaponnay (France) , Chicco Whitaker (Brésil) .