Université Internationale Terre Citoyenne
L’APRES COVID 19
APPEL AU CHANGEMENT
POLE AFRIQUE – UNIVERSITE INTERNATIONALE TERRE CITOYENNE (UITC)
Entre Mars et Mai 2020, l’Université Internationale Terre Citoyenne, UITC, durant le confinement due à la pandémie de la covid 19, a initié un dialogue à distance à travers plusieurs échanges de groupe, notamment avec les membres du Pole Afrique.
Il ressort de ces échanges, un état des lieux de la pandémie telle que vécue par chaque participant et dans chaque pays et une réflexion sur l’après-covid 19 qui a abouti à l’appel suivant :
I – ETAT DES LIEUX
La Covid 19 a mis à nu les inégalités économiques et socio-culturelles en Afrique. De même des faiblesses des systèmes politiques, économiques, sanitaires et sociales se sont révélées. A peine la pandémie démarrée, les états africains ont commencé en cœur à réclamer l’aide extérieure.
Autre remarque du fait que ces systèmes sont tournés vers l’extérieur : les mesures de riposte prises par les états africains (restriction des activités pour ne pas parler de confinement) sont pratiquement des copier-coller de celles prises en Europe, en dehors de quelques exceptions (Madagascar, Tanzanie, Cameroun). Ces mesures ne sont évidemment pas adaptées surtout au plan économique et social compte tenue du système informel. La majorité de la population est habituée à sortir pour travailler et pouvoir se nourrir quotidiennement.
La marginalisation de la recherche et des savoirs locaux est une évidence même si l’on note que des chercheurs africains se battent pour se faire entendre.
Mais pour nous, membres de l’UITC, ces faiblesses et bien d’autres révélées par la pandémie ne sont pas sujets à pessimisme. Nous les comprenons comme des alertes, avec des possibilités d’activer des leviers de commande afin d’engager des changements profonds, systémiques dans les sociétés africaines dans le sens d’une plus grande résilience et durabilité.
II – QUELQUES CHANGEMENTS A OPERER
2-1 – Au plan politique : L’homme au cœur d’un développement durable
Améliorer la réflexion prospective et faire des plans de développement sur le long terme avec la participation effective de l’ensemble des populations, non pas pour la seule durée d’un régime et les seules exigences de la communauté internationale mais pour la durabilité des actions. Les bonnes initiatives de développement doivent survivre aux régimes pour éviter l’eternel recommencement des actions auquel nous assistons. Il est souhaitable qu’un mécanisme de consultation de la population qui se trouve être le bénéficiaire final de ces actions soit mis en place. C’est un gage d’impact positif et de durabilité car en consultant la population les vrais besoins seront identifiés et les actions contribueront réellement à la réduction de la pauvreté. Les aides ponctuelles apportées actuellement aux couches vulnérables en cette pandémie sont certes louables mais ne doivent pas être utilisées à des fins politiciennes.
Ainsi ce plan de bonne gouvernance mettra au centre « L’humain » de telle sorte qu’il prenne en compte tous les aspects de la vie de la population en commençant par la santé.
2-2 – Au plan sanitaire : solidarité, équipements, éveil de la conscience professionnelle et valorisation de la médecine africaine appelée abusivement traditionnelle
La covid 19 a fait émerger les défaillances sanitaires dans tous les pays y compris les Etats Unis et l’Europe. Inutile donc de parler de notre continent qui déjà en temps normal assurait difficilement une couverture sanitaire minimale à sa population. Seuls les « privilégiés» qui pouvaient aller se soigner à l’étranger sortaient leur épingle du jeu. La covid19 a permis de mettre tout le monde sur le même pied d’égalité avec la fermeture des frontières. Cette situation devrait permettre une certaine prise de conscience sur le fait que nous sommes en réalité tous égaux et la solidarité suscitée aujourd’hui devrait se poursuivre après la crise sanitaire.
Personne ne devrait se considérer supérieur à l’autre. Rien que certaines images de personnes atteintes de covid19 qui sont mortes sans aucun parent à coté, enterrées sans aucune cérémonie, des cercueils alignés dans des fosses communes, etc, en provenance de l’Europe et des Etats Unis devraient faire réfléchir sur le fait que les choses ne doivent plus être comme avant.
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Solidarité donc après la covid19 entre tous les êtres humains. L’Humain doit désormais être au centre de toute considération et non l’économie. Sortir la santé de la privatisation et construire de véritables systèmes de services et d’accès à tous est un gage de renforcement de solidarité et de cohésion sociale.
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Redirection des parts budgétaires, en priorisant la santé surtout en équipements et recherche et leur bonne gestion. Il faudra ajouter l’éveil de la conscience professionnelle car dans les hôpitaux africains, ce ne sont pas les diplômes qui manquent. Heureusement que la crise en Afrique n’a pas connu le même rythme que sur les autres continents, si non les systèmes sanitaires n’auraient pas tenue un seul jour. Dieu ou la Nature etc, on l’appelle comme on veut, sait ce qu’il ou elle fait.
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Une des grandes révolutions créées par la Covid 19 est l’émergence des solutions africaines pour soigner cette pandémie. La médecine africaine abusivement appelée traditionnelle a fait surface. Pour la première fois dans plusieurs pays du continent, des solutions africaines sont publiquement présentées et testées malgré les réserves de l’OMS. C’est l’occasion d’insister encore sur la nécessaire complémentarité entre médecine moderne et « traditionnelle » pour tenir compte des réalités africaines et l’évolution de ce secteur. Cela augure de grands changements en matière de santé publique en Afrique.
2-3 – Au plan de la recherche : encourager, innover, valoriser
Nous constatons cà et là en Afrique des frémissements à ce niveau : fabrication de gel et solution hydroalcoolique, de masques, de sur-blouses, voire de respirateurs au Sénégal, en Cote d’Ivoire et ailleurs sur le continent ; l’utilisation de plusieurs produits naturels (médicaments à base de plantes) découverts par des chercheurs africains au Bénin, Congo, Cameroun, Madagascar pour ne citer que ceux là, contre la covid 19. L’Afrique de la recherche bouge. Ce frémissement doit être encouragé par les gouvernants, la population et reconnu par la communauté internationale. Ces initiatives doivent être soutenues financièrement, portées politiquement, promues et valorisées par l’ensemble des africains à tous les niveaux. C’est malheureux, mais le chercheur congolais qui est à l’origine de covid Organics de Madagascar a du s’exiler en France, soutenu, valorisé et promu par des bénévoles et autres associations hors d’Afrique pour développer son produit. Heureusement que cette fois ci au moins, un pays sur le continent a accepté de porter le projet.
C’est le lieu et le moment de tirer la sonnette d’alarme sur l’identification et la valorisation des connaissances locales. Ne dit-on pas qu’en Afrique, un vieillard qui meurt est une bibliothèque qui brule ? Ceci est aussi valable pour les savoirs et autres connaissances des terroirs africains, sachant que l’origine de la médecine vient de l’Afrique. Avant l’ère chrétienne, les médecins égyptiens pratiquaient la césarienne. Aussi nous savons que la molécule à la base des médicaments provient des plantes, alors pourquoi jouer à l’autruche et ne pas considérer ces plantes qui peuvent être utilisée de diverses manières (chimique comme naturelle) pourquoi pas ? On pourrait se demander à qui profite le crime. Sous le prétexte fallacieux de lutter contre le paludisme on sait combien les multinationales et autres milliardaires de ce monde trompent les populations et les États, au point de développer des moustiques génétiquement modifiés, une recherche pour laquelle les populations n’ont pas été consultées. Pendant ce temps les savoirs autochtones qui pouvaient aider à la lutte contre le paludisme voir d’autres maladies sont méprisés, délaissés voire ridiculisés.
C’est le lieu d’interpeller les dirigeants africains afin qu’ils s’intéressent aux savoirs et connaissances locaux qui sont d’ailleurs à la portée de la population, pour aider à les recenser, les valoriser et les développer. Des recherches financées dans ce sens aideraient mieux à hisser ces savoirs vers la science moderne. Mais si rien n’est fait, ces savoirs disparaîtront avec leurs détenteurs qui ne sont pas immortels et c’est le continent noir qui perdra. A ce niveau, nous interpellons la conscience de la société civile qui peut elle aussi prendre ses responsabilités.
La valorisation des connaissances locales est aussi valable dans le cadre de l’éducation ou l’accent doit être mis sur la communication générationnelle afin que la jeunesse africaine ne soit pas complètement détachée de son identité culturelle et des réalités de son environnement. Une jeunesse qui doit cependant rester ouverte sur les nouvelles technologies dont l’internet pour lesquelles un accès plus aisé au plus grand nombre doit être permis.
Cette valorisation des savoirs et connaissances autochtones, nous l’appelons de tous nos vœux non seulement au plan santé et de l’éducation, mais aussi au niveau de l’agriculture, de la pêche, de l’élevage et de tous les autres domaines. Pour faire face à ces enjeux globaux, locaux, sociaux, économiques, écologiques y compris du changement climatique, nous avons besoin de connaissances et savoirs portés par des acteurs variés dans un dialogue inclusif pour une meilleure capacité de résilience et de transformation.
2-4- Au plan de la souveraineté alimentaire : privilégier l’agroécologie
Le scenario que nous venons de décrire au plan sanitaire est le même au plan alimentaire. Les multinationales sous le prétexte d’une « révolution verte » instaurent en Afrique un système de culture soit disant moderne qui appauvrit le sol avec une utilisation effrénée de produits chimiques et de semences soit disant sélectionnées. Pour ce faire, elles occupent, avec le blanc-seing des dirigeants africains de vastes étendues de terres qui deviennent stériles après leur passage.
A force d’informations orientées et mensongères, elles drainent dans leur sillage de pauvres paysans qui s’adonnent à cette agriculture à coup d’achat de semences sélectionnées qui les rendent dépendants. Dans le pire des cas, ce sont des organismes génétiquement modifiés (OGM) qui leur sont proposés. Ces paquets technologiques transmis aux petits paysans fragilisent les agricultures familiales qui sont aussi confrontées aux effets du changement climatique. Les méthodes de jachère et de semences traditionnelles durables sont abandonnées. Dans les villages, les paysans qui s’adonnent à cette pratique sont souvent considérés comme des exemples de réussite ; mais pour combien de temps ? On a vu l’exemple des paysans qui ont mis toute leur confiance dans le coton BT (OGM) au Burkina Faso, et au finish se sont rendus compte des effets indésirables d’une telle culture et l’ont abandonnée. L’accompagnement des paysans doit donc être revu dans le sens du dialogue et de manière participative tenant compte de leurs besoins et de leurs propres savoirs..
Il faut ajouter à ce nouvel « esclavage » agricole, les systèmes d’exploitation minière dont les produits chimiques appauvrissent aussi les sols et les rendent stériles sans compter la pollution des eaux par ces mêmes produits chimiques qui tuent les poissons entravant ainsi le travail des pêcheurs artisanaux.
L’après covid 19 doit permettre d’ouvrir les yeux sur tous ces systèmes qui ne font qu’arriérer l’Afrique au lieu d’aider à son vrai développement. Pendant 60 ans, les Etats africains ont chanté la sécurité alimentaire sans grand résultat parce que les systèmes alimentaires sont perturbés par toutes ces pratiques. Lorsque vous dépendez de l’extérieur pour cultiver (achat de semences), et que vous ne mangez pas forcément ce que vous cultivez, vous n’êtes plus en sécurité. C’est pourquoi il faut tendre de plus en plus vers la souveraineté et la subsidiarité alimentaire. Ceci signifie garantir le droit et le devoir des peuples à se nourrir et résoudre les questions alimentaires au plus prés des personnes et avec elles. Ceci signifie aussi de produire de manière la plus naturelle possible des produits issus d’une agroécologie paysanne à développer. L’agroécologie encourage les bonnes pratiques culturales et il est plus que démontré de nos jours qu’elle apporte de la productivité et de la rentabilité et surtout la préservation des sols pour les générations futures.
2-5- L’aide au développement et la coopération en question : les réformes qui s’imposent pour changer de cap
Apres 60 ans d’indépendance, les pays africains n’arrivent toujours pas à s’en sortir même si beaucoup prônent l’émergence sans en voir effectivement le bout à la fin des échéances données.
De part et d’autres, autant du coté de ceux qui apportent l’aide que de ceux qui la reçoivent, une réflexion doit être menée pour un changement de cap.
Pour aider la riposte à la covid 19, le G20 a accordé un moratoire d’un an aux pays africains à leur demande en ce qui concerne le paiement de la dette. Mais annulation ou moratoire, le vrai problème se trouve ailleurs. Il est dans le choix du système de développement politique, économique et social. Doit-il être endogène ou exogène ? Quel aspect du système doit être tourné vers l’extérieur et comment et lequel doit privilégier le local ? etc. Quels mécanismes doivent réguler ce système de développement au niveau national et international ? etc. N’est-il pas temps de réformer ces organisations internationales et autres mécanismes internationaux de gestion de l’aide internationale au développement, de son utilisation effective avec un impact durable sur les populations ?
C’est pourquoi nous lançons un appel aux gouvernants, autant en Afrique qu’en Occident, afin qu’ils mettent en place dés à présent, un mécanisme de réflexion prospective inclusive pour mettre en place un mécanisme de coopération et d’aide au développement plus équitable.
En ce qui concerne la question de la dépendance vis-à-vis de l’extérieur, le constat n’est pas seulement fait en Afrique mais aussi du coté de la France, des Etats unis et d’autres pays de l’Occident pendant cette covid 19 (pénurie de masques et autres respirateurs). Personne n’échappe donc à la question du choix de développement à opérer à diverses échelles. C’est donc une remise en cause générale et le monde entier avec son système de globalisation qui est concerné.
La covid19 en Afrique mais aussi au niveau mondial constitue comme un coup de semonce ; Nous savons que nous allons être confrontés à d’autres crises, effondrements possibles du fait de l’interdépendance des sociétés. Nous avons vu qu’un problème sanitaire né dans un marché de la ville de Wuhan pouvait provoquer des centaines de milliers de morts dans le monde, et des effets en chaîne économiques, sociaux, de transport, d’alimentation, etc. Nous aurons d’autres crises (énergétiques, financières, liée aux effets du changement climatiques …). Elles pourront produire des effets bien plus importants…
Les difficultés vécues en cette pandémie doivent être perçues comme des leçons, des alarmes, pour une remise en cause à tous les niveaux, politique, économique, sanitaire, alimentaire, social, voire de l’aide au développement. Elles doivent servir de tremplin pour mieux rebondir vers un avenir meilleur.
En ce sens, nous devons au niveau individuel, de nos communautés, de nos pays, de l’Afrique, saisir cette opportunité pour engager des changements profonds autour de ces grands axes. Les leviers sont déjà là. C’est donc plus que jamais, le lieu et le moment.
UITC Pole-Afrique
Le 2 juin 2020
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